à madrid, la boutique forte_forte promet un équilibre entre sentiment et géométrie

l’espace, pour forte_forte, est une histoire. la matière façonne l’atmosphère et s’en imprègne, dans une osmose continue qui définit les environnements. une grammaire reconnaissable des surfaces, des traitements et des couleurs unit les différents espaces, née d’un dialogue créatif entre giada forte et robert vattilana, mais la narration prend à chaque fois une métrique et un ton différents, dictés par le genius loci. l’inauguration de la nouvelle boutique madrilène, au 72 claudio coello, est l’occasion d’un exercice de confinement qui touche aux cordes brutales sans renoncer à la poésie et à la délicatesse féminine. l’éclectisme, qui est la signature de forte_forte, est chargé d’une énergie sensuelle polarisée sur l’équilibre entre le masculin et le féminin, les courbes et les angles, la géométrie et le sentiment. l’austère solennité de la capitale espagnole, avec sa rigueur nordique qui semble de prime abord complètement étrangère à la culture méditerranéenne de la région, suscite et agit comme une toile de fond.

grande et spacieuse, la boutique s’étend sur cent vingt mètres carrés, à laquelle on accède par une porte d’angle en laiton, carrée et irrégulière, dotée d’une poignée ronde en pierre verte iranienne. sept fenêtres s’ouvrent sur la rue, créant ainsi un dialogue lumineux entre l’extérieur et l’intérieur, mais c’est le grand pilier central, blanc et sculptural, qui s’enfonce dans le plafond et s’ouvre en un rayon de nervures, presque comme une inflorescence abstraite, qui domine l’environnement et dicte le rythme architectural. à partir de cet élément central, l’irrégularité devient harmonie. le sol est constitué de macro-carreaux de pierre grise de différentes textures, de petits inserts de marbre vert et de lignes de laiton, et le grand mur du fond est une superposition de surfaces en plâtre traitées à la main. même le tapis rose poudré placé au centre de la pièce suit une géométrie irrégulière, à l’instar du bloc rose vif de l’escalier qui monte dynamiquement au plafond et qui mène à l’étage supérieur: cent soixante mètres carrés, partiellement consacrés au stock.

une dysharmonie étudiée de couleurs, de formes et de matériaux imprègne le projet. les lignes nettes à la saveur brutale, que l’on retrouve dans les fauteuils recouverts de feuilles d’or avec des coussins en cuir perforé et dans les tables en pierre grise qui révèlent la présence de fossiles anciens dans la texture, sont mises en contraste avec des formes rondes résolument plus féminines: la cabine d’essayage pourvue d’un rideau doré qui se trouve au centre d’une cage en laiton, à laquelle on accède par d’imposantes portes battantes, également en laiton, permet d’entrer dans un environnement de couleur aigue-marine qui enveloppe et crée un sentiment d’intimité veloutée; le banc monolithique semi-circulaire et son coussin en cuir; la caisse sculpturale en pierre verte d’Iran au profil sinueux; les éléments d’exposition en céramique. le laiton, traité à la main comme tous les autres matériaux et donc vivant et chaud, est le signe calligraphique qui revient dans la grammaire matérielle de forte_forte et vient dessiner la ligne des cintres, le périmètre des miroirs, les hublots des cabines d’essayage et le lustre. ces contrastes de géométrie et de spontanéité se retrouvent également dans les présences végétales: strelitzia nicolai, monstera deliciosa, alocasia macrorrhiza et ficus lyrata. l’accumulation de sensations et de situations est soulignée par les peintures de laurie maun et les sculptures de kalou dubus, sinueuses et féminines, et les céramiques d’ettore sottsass pour bitossi, affirmatives et masculines.

l'espace de la boutique ressemble à une composition de fragments. l’histoire, faite de phrases courtes et opposées, est paratactique, mais la vue d’ensemble révèle une unicité enveloppante et un sentiment d’austérité douce et frivole se dégage.